Qu’est-ce que l’Extraction ?

Plus abstrait” que l’abstraction

J’ai eu l’intuition en 1994, année de mes dix-huit ans, que je pouvais apporter quelque chose de nouveau à la peinture abstraite. Selon moi, réaliser une toile abstraite à partir d’un style décidé à l’avance était certes intéressant mais conduisait inéluctablement à une toile « seulement » abstraite.

Pour le vérifier, j’ai commencé en 1998 une toile abstraite en la composant à l’aide de quadrilatères. Et, au fur et à mesure que je peignais, j’ai constaté sans surprise qu’elle n’apportait fondamentalement rien à ce qui avait déjà été fait – magnifiquement – par les peintres dits « d’après-guerre », à savoir ceux ayant commencé leur carrière d’artiste dans les années 1950-60. Pour cette raison, je ne l’ai pas terminée et l’ai intitulée « Abstraction inachevée ».

Abstraction inachevée

J’ai alors décidé de suivre une autre voie, celle que je décris ici et dont à l’époque j’ignorais l’issue.

Afin d’échapper aux codes les plus courants, je me suis lancé le défi de peindre au niveau d’abstraction le plus élevé possible, « plus abstrait » que l’abstraction, c’est-à-dire avec la contrainte suivante : ne jamais composer selon un style abstrait décidé à l’avance, et ce du début à la fin de chaque réalisation. J’ai peint ainsi de 1999 à 2013.

Et, un jour de juillet 2015, j’ai pris conscience que chacune des vingt-sept toiles que j’avais peintes, soit la quasi-totalité de ma production jusqu’alors, était passée par les étapes suivantes :

1. Je n’avais peint que lorsque j’en avais eu le très fort désir, un désir presque irrépressible.
2. Un style indépendant de ma volonté s’était imposé assez vite. Un style très différent selon les réalisations qui s’avéra proche de styles qui avaient déjà été inventés, notamment à l’après-guerre.
3. Mais, alors que je peignais, un sens – une image ayant un sens précis – était soudain apparu dans la composition de la peinture.
4. Perplexe, j’avais alors veillé à conserver ce sens en cessant de peindre, ou en complétant éventuellement certaines aires ou formes.
5. Enfin, j’avais précisé ce sens à travers le titre.


Ainsi, pour chaque réalisation, au lieu de partir d’une idée, d’un « sens », pour parvenir à du « beau », j’étais parti du « beau » et étais parvenu à du « sens ».

L’aube en hiver

Quelques mois après avoir pris conscience de ce processus en 2015, je me suis souvenu que j’avais écrit en 1997, craignant que tout avait déjà été fait en peinture tant en abstrait qu’en figuratif, un texte très court dans lequel je tentais de définir ce que pouvait être un artiste à notre époque. Une question que je me posais depuis plusieurs années.

Je l’ai retrouvé. A ma grande surprise, la définition était cohérente avec la règle que j’avais suivie : « l’art semble devenir une extraction chez l’artiste. L’artiste, plus qu’autrefois, semble puiser au plus profond de ses ressources pour s’exprimer ».

Libération, prospection, extraction

Très heureux d’avoir trouvé le terme « extraction » pour qualifier ce que j’avais réalisé, j’ai cherché à comprendre précisément le processus qui avait opéré.

La méthode que j’avais suivie avait été de peindre des toiles au niveau le plus abstrait possible en m’interdisant de m’aider d’un modèle ou de formes préconçues. Cette façon de procéder avait d’abord conduit à une « libération », parce que la recherche du beau, abstrait, était ce qui m’avait permis cette distance vis-à-vis de qui était visible autour de moi et immédiatement en moi, et avait eu pour résultat un style de peinture indépendant de ma volonté. 

Bleu, blanc, rouge

Libre de toute contrainte de style, j’avais ensuite composé mes toiles en quête d’un équilibre « au-delà » de celui atteignable via une composition pressentie de couleurs et de formes. Cette façon de composer a selon moi agi comme une écriture, progressive, dans mon inconscient. D’où le terme de « prospection » que j’emploie pour qualifier la seconde phase.

De cette manière, je pense qu’au fil de la composition de mes toiles, je suis descendu plus profond dans mon inconscient et suis parvenu à du sens, à travers les étapes suivantes : « libération, prospection, extraction ».

Extraire un sens du “beau”

Lorsque j’ai terminé une toile, j’ai rarement eu envie de la signer. Non pas parce que je ne la trouvais pas belle, mais parce que je n’en ressentais pas le besoin. Cependant, au fait du processus, je me suis, à nouveau, posé la question : dois-je les signer ? Ma réponse fut négative. J’ai estimé plus pertinent de signer ce qui les rassemblait, étant donné que c’était la série qui m’avait permis de l’identifier : j’étais parti d’une peinture abstraite, et, inconsciemment, étais parvenu à un paysage, une figure, un objet, une sensation, une religion..

Sous un soleil d’été

Pour ces raisons, j’ai décidé de nommer « Extraction » ce concept de peinture abstraite. Je le définis comme un processus inconscient dont la fin est d’extraire un sens du « beau ». Je qualifie également chacune des toiles ainsi. J’ai peint à nouveau à partir de 2020. Alors que je le connaissais, celui-ci a continué d’opérer dans quatre toiles en 2021.

De retour à l’abstraction

« Coucher de soleil et lever d’étoiles » date de 2022. Moins motivé par le processus que j’avais découvert, je suis parti d’un motif figuratif : un coucher de soleil, symbolisé par une forme arrondie jaune et un segment noir en dessous pour horizon. Par conséquent, je ne la considère pas comme une extraction. Je l’ai peinte ensuite comme si je peignais une extraction. Celle-ci m’a livré au final une image étonnante : non seulement un coucher de soleil à l’horizon mais aussi le lever d’un astre intense au premier plan, au-dessus de la mer, et d’autres astres autour.

Coucher de soleil et lever d’étoiles

Un an après, j’ai repris la peinture abstraite, sans les règles évoquées plus haut. A noter que j’ai été surpris par la forte sensation du premier geste. Pour ces raisons, je l’ai intitulée « Retour à l’abstraction ».

Retour à l’abstraction

Et, au printemps 2024, ayant définitivement abandonné le concept d’extraction, j’ai décidé de réaliser une seconde toile abstraite, à partir de formes rectangulaires et des variations de bleu. Je l’ai intitulée « Abstraction bleue et blanche ».

Abstraction bleue et blanche

Un nouveau concept

de peinture

J’avais eu l’intuition il y a vingt-cinq ans qu’en peignant de la façon la plus abstraite possible, je pourrais apporter quelque chose de nouveau à la peinture abstraite. Je n’ai pas inventé de nouveau style abstrait, sans regret puisque ce n’était pas mon objectif. En revanche, j’ai découvert un nouveau concept de peinture qui fait le lien entre l’abstraction et le figuratif : l’ « Extraction ».

Paris, le 12 août 2024

Antoine Houssin

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